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Alain Larocque

L’éloge du focus

Mis à jour : 11 nov. 2018

« …les décisions les plus difficiles que nous prenons sont toutes les choses sur lesquelles nous décidons de ne pas travailler »– Tim Cook, CEO d’Apple

Je prenais mon café au début de l’été sur la terrasse lorsque j’ai lu que l’action de General Electric, un des plus grands géants manufacturiers américains du XXe siècle, venait d’être retirée de l’index Dow Jones. L’entreprise allait peut-être être démantelée, écrivait-on. J’étais renversé. J’y reviendrai.

 

Je réfléchissais alors au premier sujet à aborder dans mon blogue, et la nouvelle me rappela que le premier facteur de succès en affaires est un focus absolu sur un  nombre limité d’opportunités. Il s’agit cependant, pour la plupart des chefs d’entreprises, d’une discipline difficile.

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Dollarama s’est développé en ne faisant qu’une et une seule chose, la vente au détail de produits d’usage courants pour quelques dollars au Canada. Deux compétences clés: l’approvisionnement et le contrôle des coûts d’opération. Bien que son action ait en fin 2018 subi une correction en bourse, la création de valeur pour ses actionnaires au cours de la dernière décennie a été impressionnante.

 

Apple ne vend que des outils haut-de-gamme de communication et d’accès aux médias. Elle a résisté jusqu’à maintenant à la tentation de lancer des téléphones bon marché pour concurrencer les modèles chinois, ou de concevoir une voiture de luxe autonome pour concurrencer Tesla.

Rise Kombucha fait une chose, du kombucha, en 6 saveurs et deux formats.

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Dans un marché attrayant, la concurrence devient rapidement féroce.  Et dans un marché concurrentiel, le gagnant est le plus dédié, le plus alerte, celui qui maîtrise les menus détails de son métier et en tire profit, celui dont les ressources sont focalisées sur ce qu’il fait de mieux. Les ressources de toutes les entreprises sont limitées et la plupart n’ont pas les moyens financiers et humains pour battre des concurrents sur plusieurs fronts à la fois. 

 

À l’inverse, l’éparpillement mène inévitablement au gaspillage et à la sous-performance. Au mieux, le succès dans un marché subventionne les  pertes dans les autres. Au pire, le marché prioritaire ne reçoit pas suffisamment de ressources et on ne réussit nulle part.

 

Ça semble évident? L’éparpillement est encore la faiblesse la plus répandue des entreprises. Pourquoi? Le focus est une discipline qui ne vient pas naturellement aux êtres humains.  

 

La plupart des entrepreneurs carburent à l’adrénaline. Ils ont l’impression de ne pas faire leur travail, ou s’ennuient à mourir s’ils ne peuvent lancer régulièrement de nouveaux projets. Tirer sur tout ce qui bouge semble initialement réussir aux plus énergiques et charismatiques, surtout s’ils ont la chance de bâtir dans des marchés en émergence. On fait leur éloge dans les médias, leur approche est validée aux yeux d’autres entrepreneurs. Jusqu’à ce que des concurrents plus disciplinés se pointent et les rattrapent, et que s’écroulent une à une les activités dans lesquelles ils s’étaient engagés sans avantages concurrentiels durables. 

 

Le focus est aussi une discipline qui s’apprend si on a la chance d’aller à la bonne école. Et malheureusement, la reconnaissance du focus stratégique comme meilleure pratique de gestion est relativement récente, et n’est encore maîtrisée que par trop peu de dirigeants et d’administrateurs. 

Le mythe de la multiplication des produits

Beaucoup croient encore dur comme fer qu’il est impératif de multiplier les champs d’activités d’une entreprise pour la faire croître. Un leader doit chercher à étendre la gamme de produits et les débouchés. Je simplifie: on a du succès avec cinq variétés de biscuits et on décide d’en ajouter cinq pour doubler les ventes. Et qu’est-ce qui arrive? Trois ans plus tard, après des frais de développement et de lancement élevés, les inventaires ont doublé et les trois variétés originales représentent toujours 85% des ventes. Pire, pour sauver la mise, l’équipe de vente et marketing passe maintenant la moitié de son temps à développer des programmes pour faire lever les nouveaux produits. Familier?

 

Un autre exemple: une entreprise lance ses produits dans cinq nouveaux marchés régionaux simultanément, en espérant voir exploser ses ventes. Une belle façon de s’éparpiller et  d’échouer. J’aborderai les meilleures pratiques d’expansion géographique dans un prochain article. 

Red Bull a atteint un chiffre d’affaires de $10 milliards avec essentiellement un seul produit (une version originale et une autre non sucrée) dont elle a exploité le potentiel au maximum. D’autres auraient rapidement ajouté des colas et des jus de fruits pour optimiser l’infrastructure de distribution. Son budget de communication a été concentré sur une marque, un produit, un message et une clientèle cible. Efficace. Red Bull a fait croître son chiffre d’affaires de façon disciplinée, débutant en Thaïlande, puis testant son produit en Autriche avant de le lancer méthodiquement dans la plupart des marchés du monde.

 

Vous avez raison si vous me dîtes que la compagnie vient juste de lancer plusieurs nouveaux produits.  Ça devrait inquiéter les actionnaires.

 

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Plusieurs entreprises qui avaient réussi de façon spectaculaire grâce à leur discipline ont d’ailleurs dérapé après l’arrivée d’un dirigeant formé à la vieille école. Green Mountain Coffee Roasters, a connu un des taux de croissance les plus rapides de toutes les compagnies américaines cotées en bourse au début des années 2000, après s’être entièrement focalisée sur la vente des godets de café individuels pour la cafetière Keurig. En 2010, Green Mountain acheta même Van Houtte.  

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Quelques années plus tard, un nouveau CEO recruté chez Coca-Cola réussit à convaincre le Conseil que l’avenir de l’entreprise allait passer par l’utilisation de l’infuseur Keurig pour la préparation de boissons gazeuses à la maison. L’équipe de R&D développa à grands frais un nouveau système de godets pour breuvages pétillants, et l’entreprise coupa drastiquement dans le budget marketing pour le café. Le redéploiement des ressources amena un affaiblissement de la croissance des ventes de café et le nouveau produit fut un flop monumental. Le prix de l’action chuta brutalement en milieu de 2015 et la compagnie fut vendue à la fin de l’année. Le Coke en godet fut discontinué quelques mois plus tard.

Le mythe de la diversification

L’autre mythe qui tarde à disparaître est celui selon lequel il faille diversifier les activités d’une entreprise pour en réduire le niveau de risque et assurer sa pérennité. Cette pensée a été développée dans sa forme la plus extrême dans les années ’60 et ‘70. ITT, une entreprise d’équipements de télécommunications, acquit dans les années ’60 près de 300 compagnies dans des secteurs aussi différents que l’hôtellerie (Sheraton), la boulangerie (Wonder Bread) et la location de voitures (Avis). ITT n’arriva pas à créer de la valeur au sein de la plupart des nouvelles filiales, chacune vulnérable à des concurrents aux activités plus ciblées. Le conglomérat fut démantelé à partir de la fin des années ’70.

 

Et c’est ici que je reviens à General Electric. Jack Welsh, nommé CEO en 1981, introduit rapidement une culture de performance sans compromis qui résulta en une augmentation marquée et rapide de la profitabilité et de la valeur boursière de l’entreprise. Sans doute par crainte de ne pouvoir maintenir le rythme de croissance, il entreprit de diversifier. À partir de 1986, il acheta entre autres NBC et plusieurs banques d’affaires, regroupées sous GE Capital, même si son équipe de gestion n’avait aucune expérience ni dans les médias ni dans la gestion des services financiers. 

Une grande créativité dans la façon de publier les résultats, et l’exubérance des marchés financiers cachèrent pendant les années 1990 les faiblesses des nouvelles filiales, entre autres en gestion de risques. En 1999, le magazine Fortune décerna même à Jack Welsh le titre de ‘Gestionnaire du siècle’.

 

Lors de la crise des financière de 2008, les pertes de la nouvelle filiale GE Capital furent si élevées que GE devint insolvable! La compagnie ne dut sa survie qu’à une injection de capital de la Réserve Fédérale ainsi que de Warren Buffett. Le nouveau CEO, Jeff Immelt, un vétéran de 20 années avec GE, tenta de relancer l’entreprise avec de nouvelles acquisitions…qui furent  évidemment aussi désastreuses que les précédentes. Le CA décida finalement de renvoyer Immelt l’année dernière. GE fait maintenant face à des problèmes de liquidité et tout indique que l’entreprise, fondée par Thomas Edison, ne survivra pas dans sa forme actuelle. Qui aurait cru?

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La valeur de l’action de GE de 1980 à aujourd’hui

Et Google? Un exemple de diversification réussie? Clairement l’entreprise va bien. 

 

On comprends intuitivement les synergies entre le moteur de recherche et des produits comme Youtube, Android, Waze, Google Maps, Gmail, Chrome. Il s’agit d’outils qui organisent l’information disponible sur le web, la rendent accessible et facile à communiquer, et grâce auxquels Google est devenu le No 1 mondial des revenus publicitaires.

 

Cependant, le projet de véhicule autonome (Waymo), la  recherche dans le secteur de la santé (50 entreprises dont Calico et Verily), et la vente d’appareils de contrôle et de surveillance connectés pour les domiciles (Nest) ne procèdent pas du même modèle d’affaires. Bien que tous les secteurs s’appuient sur son expertise dans le secteur de l’intelligence artificielle, Google agit ici comme entreprise de capital de risque. Un risque raisonnable pour les actionnaires ou des projets motivés par l’intérêt des fondateurs pour les ‘start-up’? 

 

Depuis la fin de 2015,  Google publie séparément les résultats de ses investissements plus spéculatifs regroupés sous ‘Other Bets’. Pour 2017, ‘Other Bets’ représentaient des revenus de $1.2 milliards sur un total de $110 ou 1% du total. Le secteur générait des pertes de $3.4 milliards sur des profits nets consolidés de $12.7 milliards pour Alphabet.

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