BÂTIR
Intégrer une acquisition
Mis à jour : 11 nov. 2018
Disons-le d’entrée de jeu: rien n’est plus périlleux et risqué que l’intégration d’une acquisition. Sachez que dans le cas des entreprises de tailles similaires qui fusionnent, le taux de succès est inférieur à 50%.
Voici ce à quoi vous faites face. Des employés-clés, des piliers, se sentiront menacés et vous quitteront pour la concurrence. Ceux qui restent pourraient se livrer une lutte de pouvoir impitoyable. Certains clients qui n’aiment pas la firme avec laquelle vous fusionnez iront se faire servir ailleurs. Il vous faudra harmoniser les échelles salariales, un exercice coûteux car il se fait habituellement vers le haut.
Et évidemment, il faudra intégrer les systèmes financiers. À votre retraite vous vous en souviendrez comme le pire casse-tête de votre carrière. L’intégration des systèmes signifie se défaire de l’un et migrer vers l’autre, ou pire, migrer vers un tout nouveau système. Dans le meilleur des cas, il faudra six mois pour prendre une décision sur le système à retenir, et une autre année pour planifier et exécuter la migration. Une année et demie au minimum, si votre CFO ne fait pas un burn-out, et au cours de laquelle la main droite ne saura pas ce que fait la main gauche et où les données consolidées devront être compilées manuellement.
Pour une entreprise de taille moyenne, l’intégration s’étalera donc sur près de deux années, période au cours de laquelle vous et votre équipe de gestion serez accaparés à gérer des projets internes et éteindre des feux. Vos clients seront négligés. Les projets d’amélioration que vous aviez planifiés avant l’intégration seront mis de côté. Et les concurrents seront plus rapides que vous à saisir les nouvelles opportunités d’affaires.
Pas surprenant que les exemples d’échecs désastreux abondent. Time Warner a acheté AOL pour $164 milliards en 2001. Elle a dévalué son acquisition de $100 milliards en 2002, avant de s’en départir totalement en 2009. General Electric a procédé à des dizaines d’acquisitions qui ont précipité sa chute au cours de la dernière décennie (Voir ‘L’éloge du focus’ sur ce même blogue). eBay a acheté Skype pour $2,6 milliards en 2005 avant de le laisser aller pour $1,9 milliards en 2009. Quaker a acheté Snapple pour $1,7 milliard en 1994 et l’a revendu pour $300 millions en 1997.
En termes de risques, la croissance organique, donc, est toujours l’option la plus sûre.
Viennent les ensuite les fusions de petites entreprises, plus faciles à exécuter.

Gerald Levine of Time Warner, à gauche, avec Stephen Case d’America Online, annonçant leur entente en 2000.
Et finalement les acquisitions réalisées par les consolidateurs stratégiques, c’est-à-dire des acquisitions, par un des leaders du marché, de firmes de beaucoup plus petites tailles. Couche-Tard, par exemple, a créée des milliards en valeur pour ses actionnaires en intégrant avec brio des dizaines de chaîne régionales de dépanneurs au cours des 20 dernières années.
Pour réussir une acquisition, il faut considérer des conditions favorables, puis procéder en se préoccupant d’abord des êtres humains qui sont affectés.

Les conditions favorables
D’abord, le modèle de l’acquisition réussie, c’est celui d’une entreprise qui est profitable, avec une équipe de gestion forte, qui bénéficie d’avantages concurrentiels marqués et qui acquiert des firmes moins performantes du même secteur – idéalement des firmes plus petites – pour accélérer leur croissance, leur faire bénéficier de ses avantages concurrentiels et par conséquent créer de la valeur. Les firmes dont le modèle d’affaires n’est pas encore éprouvé, celles qui ne sont pas profitables, celles qui n’ont pas encore recruté des gestionnaires de fort calibre pour chacune de leurs fonctions-clés (ventes, opérations, TI, marketing, finance, ressources humaines), devraient s’abstenir.
Comme on ne sauve pas un couple en faisant des enfants, on ne sauve pas une entreprise en difficulté en en achetant une autre.
Une acquisition ne devrait être considérée que si elle renforce le modèle d’affaires existant et contribue à accélérer l’atteinte des objectifs du plan d’affaires, jamais à les remettre en question.
Lorsque je me suis joint au groupe de produits de vente au détail de Van Houtte, notre objectif était de devenir le premier torréfacteur canadien dans le secteur du café en grain en vrac et du café arabica. En Amérique du Nord, notre usine de café était l’une des plus admirées pour son contrôle de la qualité, et nos opérations logistiques de livraison directe-en-magasin (pour le café en grain) étaient les plus efficaces. L’essentiel de notre développement a été accompli par croissance naturelle. Nous avons cependant accéléré notre percée dans l’ouest canadien en y achetant Gold Cup Coffee, qui opérait avec un modèle d’affaires similaire au nôtre et y contrôlait 60% du marché avec une toute petite équipe, facile à intégrer.
Au contraire, le défi auquel Schenker, une entreprise allemande de transport international des marchandises, s’est attaqué en achetant en 2006 BAX Global pour $US 1 milliard, était tout autre. J’y travaillais alors comme VP régional. Alors que Schenker sous-traitait le transport des marchandises de ses clients, BAX opérait elle-même une vingtaine d’avions cargo à partir de son propre aéroport à Toledo en Ohio. Les coûts fixes étaient élevés. Schenker était très profitable, BAX moins, et les gestionnaires de Schenker n’avaient aucune expérience en gestion de flotte. Schenker a mis fin aux opérations de transport aérien héritées de BAX Global en 2011. Les cinq années au cours desquelles Schenker a intégré, puis tenté de sauver les opérations de BAX, ont mené à une baisse de ses parts de marché dans ses activités traditionnelles. L’entreprise ne s’est jamais complètement remise en Amérique du Nord.

Aligner deux organisations
Pour réussir une intégration, il faut d’abord écouter, et se concentrer sur les préoccupations, petites et grandes, des gens qui travaillent dans l’entreprise. Il faut amener un alignement de tous vers de nouveaux objectifs communs. Puis il faut agir rapidement et communiquer.
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Commencez à planifier l’intégration aussitôt que possible, c’est-à-dire aussitôt que la transaction est publique mais peut-être avant même la clôture, c’est-à-dire des mois à l’avance
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Rencontrez les nouveaux employés le plus rapidement possible, même si vous n’avez pas réponse à toutes les questions
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La planification doit s’appuyer sur une écoute de toutes les opinions et de tous les points de vue, peu importe la position hiérarchique de ceux qui les émettent. Mon expérience est que les employés de première ligne ont souvent la vision la plus lucide des défis auxquels vous faites face et peuvent offrir les pistes de solutions les plus susceptibles de fonctionner.
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Soyez prêt à former votre nouvelle équipe de gestion aussitôt la transaction confirmée. Assurez-vous d’y inclure les éléments les plus forts de chacune des deux entités qui fusionnent. Pas de favoritisme envers vos anciens collègues, ça enverrait un très mauvais message. Confirmez immédiatement chaque directeur ou VP dans son nouveau rôle et expliquez pourquoi. Clarifiez tout de suite les attentes et les objectifs. Détruisez les silos, rassurez les gens, évacuez les incertitudes.
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Écoutez et communiquez. Parlez régulièrement individuellement à chaque membre de l’équipe de gestion pour savoir ce qui se passe bien ou moins bien, ainsi que pour communiquer les derniers développement et décisions avec transparence. Conduisez des rencontres de l’équipe de gestion au minimum à chaque semaine ou à chaque deux semaines. Utilisez le forum pour discuter en groupe de problèmes délicats à résoudre.
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N’oubliez pas l’équipe de ventes: les responsabilités de chaque membre doivent également être confirmées immédiatement. Qui s’occupe de chaque territoire et de chaque client ? Aucune zone d’ombre ne doit subsister. Les rencontres de vente doivent immédiatement regrouper des membres des deux entreprises.
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Communiquez encore. Il vous faut parler directement avec les clients les plus importants pour les rassurer sur la continuité du service et répondre à leurs questions. L’équipe de ventes doit quant à elle parler à tous les autres clients réguliers avec le même message.
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Communiquez encore plus. L’ensemble des employés de l’entreprise doit avoir de vos nouvelles sur le progrès des divers projets d’intégration en cours. Il doit y avoir des communiqués réguliers (un minimum d’un par semaine pour les premières semaines), des rencontres questions/réponses de groupe, et des visites informelles de chacune des équipes.
Soyez francs. Il n’y aura pas que du positif, certaines choses n’iront pas comme prévu : reconnaissez-le publiquement ! Et laissez-savoir à vos gens ce que vous faites pour en minimiser les conséquences. Les employés ont horreur des discours corporatifs à l’eau de rose.
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Travaillez à obtenir rapidement des gains, ceux qui ne sont rendus possibles que par la transaction, et réalisés par le travail d’équipe des membres de votre nouveau comité de direction. Produire du positif rapidement est source de fierté et évacue les craintes. Visez des gains de parts de marché, des nouveaux clients, de nouveaux produits et/ou façons de faire rendus possibles par l’intégration, plutôt que des diminutions de coûts par des mises à pied. Si toutefois des mises à pied ne peuvent être évitées, procédez rapidement, et lorsqu’elles sont terminées communiquez-le clairement.
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L’intégration des systèmes sera une des tâches les plus complexes. Pour réussir, l’intégration de systèmes doit être gérée comme un projet de gestion de changement, un défi de mobilisation plutôt que comme un projet technique. Il faudra communiquer et écouter les commentaires du plus grand nombre, impliquer des employés de première ligne, et communiquer ce que vous ferez et pourquoi vous le ferez. Pour s’en occuper, nommez quelqu’un de très fort en leadership et idéalement à l’aise avec l’analyse des processus et les systèmes d’information. Ce doit être pour l’équipe de projet un emploi à temps plein, pour aussi longtemps qu’il le faudra.
